Le "Tiroir" c'est ce qui permet de mettre de côté comme on pourrait mettre sous le tapis. Les déceptions, les manques. Ces attentes jamais satisfaites. Les peurs, les fantasmes, les envies impossibles. Ce ne sont jamais des choses bien graves, obligatoires ou vitales. On y pense sans même vraiment y penser. Mais on sait au fond de nous que l’autre ne pourra pas les satisfaire. Et parfois, les mois et les années passent et il arrive que l'on ouvre ces fameux tiroirs et que d'autres possibles s'annoncent à nouveau. Notre regard sur l’autre (ou bien sur soi) a évolué avec le temps sans que l’on s’en rende vraiment compte. Un livre, un film, une rencontre est souvent le détonateur, le déclencheur qui pousse à ouvrir ces fameux tiroirs.
J’ai questionné des femmes et des hommes sur cette idée de « mettre dans un tiroir ». Les réponses sont bien sûr bien différentes :
Les femmes parlent souvent de petits riens, de bouquets de fleurs, de signes de tendresse, d’attention. « j’aurais aimé qu’il soit bricoleur, il ne sait même pas tenir un tournevis »
Elles parlent aussi de qualités, de compétences, de masculinité plus affirmée, de positionnement face à une situation, de conviction, d’envie d’enfant.
Les hommes parlent rarement de tout ça. La plupart de ceux que j’ai questionnés parlent de sexe, de levrette ou de fellation ! « ma femme ne voudra jamais, j’ai rangé l’envie dans un tiroir ! »
C’est comme ça !
Faire le portrait d’une personne n’est sûrement pas un acte banal. On ne ressent pas ce besoin avec toutes celles que l’on peut rencontrer. Alors pourquoi celle là plutôt qu’une autre ? Qu’est-ce qui nous touche ? Qu’est-ce qui nous motive ? Qu’est-ce qui nous pousse à faire ce premier pas vers cet autre que l’on ne connaît pas mais qui nous inspire déjà ? Et une fois le contact établi, une fois cette première séance photos organisée, comment se laisser aller à ce que l’on a ressenti la première fois ?
Doit-on essayer de comprendre, de retranscrire une présence esthétique, de trouver une certaine forme de vérité ? Doit-on tenter de s’attacher à la personne photographiée pour que le point de vue se présente comme une évidence ? Doit-on profiter de ce moment de complicité pour capter des instants et surtout faire en sorte qu’ils durent, qu’ils vivent dans le temps ?
Sara dit être mal à l’aise avec son image, sûrement un peu comme nous tous. Elle pense devoir vivre son corps différemment des autres femmes, la nature lui ayant refusé toute forme de pilosité. Alors elle s’adapte à sa réalité en jouant de petits artifices. Traits de crayon pour dessiner ses sourcils, perruque… Tout cela ne l’empêche pas d’être dynamique, taquine, coquine même et surtout très féminine. Elle aime les relations humaines sincères mais ressent souvent le besoin de se retrouver seule.
Alors quand je lui ai proposé cette séance de portraits, peut-être a t-elle d’abord accepté pour se lancer un défi, pour se confronter à son image. Cette image qu’elle imagine offrir aux autres. L’espoir ou l’envie de découvrir une image d’elle qui lui plaise, qui la flatte : le visage comme reflet de l’individu ?
Sara est là et nous préparons ensemble ces nouvelles séances. Nous discutons de notre envie de retranscrire « son premier jour ». L’idée de naissance représentée par un corps nu et brut au côté presque animal. Une source de lumière unique, un halo, un rayon divin pour seul décor. Langage du corps, peut être une façon de pousser l’autre à plus facilement s’imprégner de sa réalité. Des images pour tenter d’évoquer quelques tourments ou conflits intérieurs à venir. Des images d’un corps qui lutte contre de troublantes émotions.
Mais se limiter à ce que l’on voit en surface, à la mise en forme. Chercher une forme d’éloquence, mais sans mettre de côté les imprécisions, les manques, les oublis. Suggestions des souffrances, des peurs à venir, des attentes, mais aussi de cette force de vivre, cette force d’être là et de le montrer.
Sara semble prête à se confronter au regard des autres en assumant son physique, son image. Une expérience pour un peu plus de confiance en soi, à chaque fois.
Ce ne sont pas les êtres qui vous manquent, c'est le besoin que l'on avait d'eux.
Pendant que la marée monte et que chacun fait ses comptes, j'emmène au creux de mon ombre des poussières de toi. Le vent les portera et tout disparaîtra, le vent les portera... L'absence n'est rien d'autre qu'une présence obsédante.
Gilles LASSELIN est né en banlieue parisienne. Il se retrouve très vite un appareil photographique entre les mains. Un outil d’ouverture aux autres, une manière d’explorer et de s’ouvrir au monde.
La plupart de ses photographies donnent à voir de l’humain et de l’objet, de l’humain face à l’objet. Mais ce sont des portraits avant tout, pour témoigner, pour tenter de comprendre les relations humaines.
Le corps imprime aussi fortement ses images. Des corps en mouvement, des corps en souffrance, des corps nus et bruts. L’objet devient alors prétexte à une mise en scène, mais permet surtout au modèle de s’oublier et de mettre en place un trio atypique : objet, modèle et photographe.
Gilles LASSELIN semble avoir une prédisposition, une passion, une fascination même pour la contemplation des humains qui l’entourent, dans leur quotidien, dans leurs gestes. Dans leur curiosité mutuelle à s’émerveiller du monde environnent.
« Je ne sais pas si je fais de la photo pour provoquer des rencontres ou bien si ce sont ces rencontres qui deviennent envie ou prétexte à une séance de prise de vue et comme tout a été déjà fait en photo, sauf par moi …! (merci F.Truffaut) »
Les photographes qui m’inspirent : Francesca Woodman – Rudolf Koppitz – Jean Loup Sieff – Jim Marshall – Michael Kenna – Richard Avedon – Nick Brandt – Patrick Demarchelier – Peter Lindbergh – Helmut Newton.
Merci aux personnes ayant posé pour moi.
Merci à certains mots qui m’accompagnent de : Ramon Gomez de la Serna, M, Aubert, Moissec, Daran, Smith, Cantat, Gainsbourg, Verlaine, Souchon…